Souvenirs d’une comtesse

Introduction d'Olivier Duquenne au livre "Sexe, horreur et fantaisie"

Lorsque le comte Gyorgy Thurzo força les portes du château de Csejthe, le spectacle qu’il découvrit le glaça d’horreur. Elisabeth Bathory, la maîtresse des lieux, avait transformé les souterrains de sa bâtisse en multiples salles de tortures. Du sang séché maculait les murs des cellules. Les soldats virent les étroites chambres de pierre où l’on emprisonnait de jeunes vierges. Plus loin dans le souterrain, Thurzo et ses hommes découvrirent une douzaine d’adolescentes encore vivantes mais presque complètement vidées de leur sang. Sous le château et aux alentours, on exhuma environ une cinquantaine de corps.


Cette histoire authentique n’a rien de romanesque, la perquisition eu lieu très exactement le 29 décembre 1610. Traduite devant un tribunal, la comtesse “sanglante” refusa de répondre. Elle fut finalement condamnée à être emmurée vive. Elisabeth Bathory vécut toute sa vie dans la crainte de vieillir et de voir flétrir sa légendaire beauté. Afin de préserver éternellement sa jeunesse il lui vint un jour l’idée de se baigner dans des cuves remplies du sang frais de jeunes filles. Aujourd’hui, elle partage avec le célèbre Vlad l’Empaleur, l’honneur d’être à l’origine du mythe des vampires.


Je connaissais déjà les dessins de Giovanni Buzi, mais j’avoue que ce n’est que tout récemment que je me suis mis à la lecture de ses nouvelles ’horrifiques’ Le récit intitulé “Hybride affamé” m’a tout de suite fait penser à la comtesse “rouge”. Elisabeth Bathory me semble refléter quelques caractéristiques des personnages des contes de Giovanni. Tout d’abord, elle est une créature fondamentalement hybride. Le seul tableau connu de l’aristocrate hongroise révèle un visage d’une beauté angélique qui masque pourtant une âme de démon. Giovanni m’a avoué que ce qui le fascine dans la figure de l’hybride, c’est sa perpétuelle métamorphose. Etre fantasque mi-ange mi-démon, sa dislocation physique produit un mélange de curiosité et de jouissance perverse. Le thème du double a souvent été traité en littérature, mais les principales références de Buzi sont E. Poe et H.P. Lovecraft. Une autre caractéristique qui légitime le rapport avec Bathory est ce dandysme empoisonné, ce chic vénéneux distillé par ses nouvelles. Il est vrai que l’auteur m’a confié qu’il adorait ce côté “Proust tombé dans un puits d’horreur”. Ce qui peut également troubler notre lecture c’est le malaise provoqué par l’évidence du lien indissociable entre sexualité et cruauté. Ceci rappelle bien sûr Bathory, mais aussi le marquis de Sade ou le peintre Francis Bacon. Pour chacun d’eux l’acte sexuel ne pouvait qu’être violent ou cruel. Buzi est conscient comme Bacon que le plaisir sexuel révèle avant tout l’animal qui est en nous. Cette troublante évidence biologique dissout toutes nos barrières sociales, culturelles, religieuses ou morales.


Ce qui m’a frappé dans les dessins du présent recueil, c’est le rapport probablement inconscient mais très étrange avec l’art de l’héraldique. Tous ces anges me font penser à d’anciens blasons, voire également aux chapiteaux sculptés des églises romanes. Le rapport à la mythologie saute aux yeux. Les contes populaires hongrois ont transformé depuis longtemps Elisabeth Bathory en vampire, goule ou lamie. Or, ces différentes figures mythologiques apparaissent fréquemment dans les dessins de Giovanni Buzi, avec peut-être une mention toute particulière pour la lamie.


Fille de Bélos, Lamia était autrefois la plus jolie femme de Libye. Elle donna de nombreux fils à Zeus qui furent malheureusement presque tous tués par Héra. Devenue folle et monstrueuse elle commença alors à dévorer goulûment les enfants des hommes. Par la suite elle se joignit aux Empuses, sortes de démons succubes, elle s’unissait alors aux jeunes gens et leur suçait le sang pendant leur sommeil. En Grèce, la lamie est représenté sous la forme d’un serpent ailé avec un buste de femme. Quelquefois c’est sous l’apparence d’un fauve avec une tête et une poitrine de jeune fille. Un autre personnage qui a pu influencer le répertoire iconographique de Giovanni est le démon féminin Lilith. Comme beaucoup de démons d’origine mésopotamienne, ses représentations sont extrêmement variées. La tradition kabbaliste affirme qu’elle était la compagne de Samaël, l’ange de la mort. Suivant certains récits, Dieu aurait puni Samaël en l’émasculant, ce qui expliquerait l’insatiable appétit sexuel de Lilith toujours en quête d’amants. Selon d’autres traditions, elle a pour coutume de faire l’amour avec un dragon aveugle durant les périodes de peste ou de famine. Voilà peut-être pourquoi Giovanni aime tant à dessiner ces accouplements d’êtres fabuleux et androgynes.


Quelquefois, notre poète arrive à faire rimer horreur et fantaisie de façon assez inattendue. On pouvait tout de même difficilement s’attendre à trouver Pinocchio dans un tel livre. Pourtant, il est bien là… Il va de soi que la référence à la marionnette évoque des pulsions de type fétichiste et donc sexuelles. Il est donc inutile de souligner que si le Pinocchio de Buzi a le nez qui s’allonge c’est pour d’autres raisons que le mensonge!


Je crois qu’il est temps pour moi de me retirer sur la pointe des pieds, après vous avoir fait part de mes souvenirs d’une comtesse “sanglante” d’une Lamia “gloutonne” ou d’une Lilith “insatiable”, je laisse soin au lecteur de convoquer tous les autres esprits qu’il désire…

Olivier Duquenne

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